Les corsaires cancalais


Extrait du n° 9 des Cahiers de la vie à Cancale.  par Lionel Helleux

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       L'époque des "navires allant à la course", comme les rôles des équipages de ces bateaux le portaient , fut une extraordinaire épopée. Elle s'est étendue surtout sur le 17ème et le 18ème siècle, mais a encore duré au 19ème siècle jusqu'à la fin de l'empire. Elle se faisait sous le couvert de "lettre de marque" du temps du roi et sous le Premier Empire. La course se faisait , le plus souvent dans les mers de l'Europe, mais aussi dans les" mers des Isles" ou des "Indes". De nombreux Cancalais, officiers, officiers mariniers, formaient les équipages de ces bateaux, bien qu'ils aient été souvent décrits comme étant de Saint-Malo.

Si on l'affirmait, bien des Malouins de l'Intra-muros riraient d'une pareille prétention. Et pourtant , d'ou venaient capitaines, lieutenants,chirurgiens et matelots recrutés par ces "Messieurs de Saint-Malo", sinon de tout le "Clos Poulet"-notre presqu'île- et particulièrement de Cancale, dont la vocation maritime date de temps très anciens. Cependant , si Cancale peut s'enorgueillir des exploits de certains capitaines corsaires, ses marins formèrent surtout la base des équipages,officiers mariniers et matelots.

Mais d'abord, qu'est-ce qu'un corsaire? Dans l'esprit de bien des gens les termes de pirate et corsaire sont synonymes : il n'en est rien.

Les pirates (il en existe , hélas, toujours dans l'Océan Indien et la mer de Chine, et les malheureux "Boat People" en sont les victimes),les pirates dont des scélérats, sans foi ni loi que celle du plus fort, rançonnant , torturant , pillant les embarcations incapables de se défendre.

Les corsaires, eux, sont d'une autre envergure. Combattants acharnés mais souvent chevaleresques, ils savent épargner les vaincus qui se sont défendus. La "course" n'a lieu que pendant les guerres; depuis près de mille ans, elle est légitime et réglementée.

Dés le Moyen Age, les souverains européens,anglais, français, espagnols, hollandais, en guerre les uns contre les autres, ont recours à des marins et des embarcations privés, qu'ils louent qu'ils réquisitionnent, pour augmenter les faibles effectifs de leur marine royal, composée surtout de galères à cette époque. Et c'est ainsi que naissent les "Lettres de Marque", délivrées par les seigneurs aux capitaines de ces bateaux et qui justifiaient le droit de capturer les navires marchands des nations ennemies et de combattre leurs vaisseaux de guerre. Le corsaire est donc un combattant régulier mais, si l'Etat prélève une part de bénéfices des prises, le plus gros gain, s'il y en a, reste à partager entre l'armateur, ses commanditaires et son équipage. Ce n'est que justice car la Course est pleine de risques, c'est une loterie, tant pour les armateurs que pour les marins, très souvent blessés, noyés, ou pris par l'ennemi. (voir Charles Helleux)

Mais revenons aux Cancalais de ces temps là. Depuis longtemps déjà, de père en fils, on embarque pour Terre-neuve, et ce , malgré les pertes d'équipages entiers. Tradition oblige. Souvent attaquées, en temps de guerre les goélettes reçoivent la permission d'embarquer quelques canons (7 à 14) mais uniquement pour se défendre. En 1640 ( guerre des trente ans) une flottille de treize Terre-neuvas prise sous le feux de gros vaisseaux espagnols parvient à les mettre en fuite et à capturer un galion bien chargé, mais perd cinq unités dans le combat.

En 1778, partant de Saint-pierre et Miquelon, le seneau " LA RENCONTRE" de 55 tx et 9 hommes fut pris par les Anglais le 6 août. Le capitaine était Joseph-Pierre VIOLETTE "de Cancale" le lieutenant Joseph-Marie DUPUIS également, ainsi que deux des matelots et un mousse.

La même année"L'HECTOR" de 250 tx, 14 canons et 46 hommes " allant à Miquelon en passant par l'Amérique Française", parti de Saint-Malo fut pris par les Anglais le 13 mars suivant. A bord , le premier lieutenant était Bertrand AVICE, 21 ans , le maître canonnier Jean SAVOUREUX, 34 ans , son aide, Jean-Pascal EMERY, 30 ans , les matelots Olivier BLANCHARD, Thomas LE GENDRE, Jean PORTIER, François de L'EPINE, et le novice  Guillaume GAUVIN, de 16 ans, tous de "Cancale".

A cette époque , plusieurs familles cancalaises ont donné à la course les meilleurs de leurs fils comme capitaines et officiers majors : les AVICE , les HAMON , les LIGNEL, les DESBOIS.

En juillet- août 1690, Pierre AVICE de la Lande , sur le "SAINT FRANCOIS" de 300 Tx , 28 canons, 180 hommes , s'assure de dix prises en Manche , aidé par le "ST CLEMENT" , la STE HELENE", la "VILLE DE SAINT-MALO". On s'aidait parfois entre corsaires, mais , alors , il fallait partager !!

Gilles AVICE , de la croix, sur le "JOSEPH" de 200 Tx, fait quatre prises ( des vivres destinées au Prince d'Orange) entre mai et décembre 1691.

Thomas AVICE , de Vaujoyeux, sur le "PHELYPAUX" de 300 Tx, 40 canons et 200 hommes, s'assure sept prises entre mars et octobre 1693, aidé de deux autres bateaux , le " GRENEDAN" et le " St-JOSEPH".

Claude AVICE fit dix prises en 1747. Mais il y a bien d'autres AVICE, tel Pierre AVICE du VAUHARIOT, qui s'échelonnent jusqu'à la fin de l'Empire.

Dans la famille LIGNEL, en 1670, huit membres , allant de 15 à 48 ans, sont réquisitionnés pour les clase de la Marine de Sa Majesté, un de leurs descendant, né en 1690, Jean LIGNEL navigue, entre 1708 et 1718, à MOKA et « aux Isles », sur le « DILIGENT », le « GRAND DANYCAN », le « JOSEPH OLLIVIER », le « SAINT6ESPRIT », et, en 1721, sur « L'HERCULE », à Gaspé. On le retrouve après sur les vaisseaux du Roi.

Son fils, Julien-François sera reçu capitaine à Saint-Malo le 23.11.1776 et officier bleu, sur la flûte le « VICTOR », en 1779, puis capitaine à Terre-neuve, et meurt en 1803.

Fils de Thomas HAMON, Philippe HAMON, de Courchamps fut 2 ème capitaine sur la frégate  « LE JOYEUX », en 1708, après avoir embarqué « en Course », de 1703 à 1705, sur  « LA GENTILLE », le « SAINT- ISIDORE » et le « NICOLAS », d'Auray.

Son fils, de même nom : Philippe HAMON, de Courchamps, né le 10.06.1700, fut reçu capitaine à Saint_Malo, en 1731 et navigua à Cadix, en Guibée et à Saint-Domingue.

Guillaume HAMON de VAUJOYEUX, né à Cancale, en 1749, naturalisé Américain, mourut à Philadelphie en 1816, après de multiple aventures et fortune faite à Saint-Domingue. Il légua sa fortune en grande partie à sa ville natale pour y fonder une maison de bienfaisance pour les familles des gens de mer.

On sait que son cousin Isaac HAMON de COURCHAMPS, installé à Saint-Domingue, y fut assassiné avec toute sa famille en 1792, sauf le fils Louis, alors en France, qui fut corsaire en 1798 et Maire de Cancale à la Restauration, mais laissa de mauvais souvenir aux Cancalais, ayant discuté les décision testamentaires de son oncle Guillaume.

Entre le Traité d'AIX LA CHAPELLE (1748) et le début de la guerre de sept ans (1756-1762), pas de guerre, peu d'armement de voiliers corsaires, d'où pas de défense contre l'ennemi maritime de toujours , quand la guerre éclate de nouveau, d'où le débarquement anglais à Cancale en 1758 avec l'incendie, à SOLIDOR, de 98 navires dont une vingtaine de corsaires désarmés. et la perte du Canada ! On se bat encore, mais sans autant d'agressivité. C'est par contre l'époque des exploration et du grand commerce des produit d'outremer. Nos cancalais y participent : 75 % des équipages de la compagnie des Indes viennent au Clos Poulet, et sur la « BOUDEUSE de BOUGAINVILLE » on trouve les noms de quatre gars de Cancale : Jean HERCOUET, Jean BOUAN, Louis JEAN et François LAUNAY.

Les corsaires retrouveront une grande activité avec la guerre d'indépendance des Etats-Unis. Bien des Cancalais y participent, restés anonymes dans la masse des tués, noyés et disparus, (1113 morts dans les armées de mer). Beaucoup de ces hommes portaient des surnoms (des Signories comme on dit à Cancale) : Joli Cour, Frappe d'Abord, Belle Rose, Belle Humeur, la Douceur, Vadeboncoeur !

On relève cependant dans une étude américaine deux nom dit « de Cancale » parmi tous les autres  dits « de Saint-Malo » : Jacques ARLUS, débarqué blessé de l'AMAZONE », où il eut 52 morts, et mort à Boston le 13.11.1778. Le second : Mathurin PORTIER, noyé le 12.03.1781 à Cheasapeake, marin du « CONQUERANT », dont 60 mort de l'équipage sont morts aux Etats-Unis.

Et puis ce fut la révolution et l'empire. « la Législative », prise d'un idéal généreux, suggéra d'interdire « La Course ». que la convention supprima le 30.05.1792, pour revenir sur sa décision en janvier 1793.

Alors tout ce qui peut naviguer entre nos côtes et l'Angleterre prend la mer, il faut, à tout prix, interrompre le commerce de l'ennemi.

Des Cancalais obtiennent des « lettres de Marques ». On cite un Jean LANCELIN dans un combat du 1er juin 1794, un François DUJARDIN qui fut lieutenant du SURCOUF, et souvent charg é de la vente de ses bateaux, 2ème capitaine de « L'ELIZA », en 1807 et nommé capitaine de « L'EXPEDITION », de 30 Tx en 1797-1798, mais il apparaît que ce bateau ne sortit pas ! DUJARDIN fut prisonnier sur les pontons anglais en même temps que Nicolas SURCOUF. Ses descendantes, Melles ROBINOT, détiennent deux salaires en os faites par ces marins durant leur captivité, et la longue vue de F.DUJARDIN.

Quant au renommé Robert SURCOUF, né à Saint-Malo, certes, mais élevé à Cancale par sa nourrice Marguerite SAVOUREUX, épouse NICOLAS, parti très jeune « aux Isles », capitaine à vingt ans, il mena sur les quatre corsaires qu'il commanda dans l'Océan Indien, « L'EMILE », « LA CONFIANCE », « LA CLARISSE » et « LE REVENANT », une lutte acharnée - et fructueuse - aux « INDIAMEN », les grands navires de la Compagnie concurrente des Indes Anglaises.

Devenu armateur, sous la Restauration, il remplira ses bateaux principalement de marins cancalais, qu'il connaît depuis son enfance, ainsi que son frère Nicolas, qui signe, le 30 août 1815, un contrat d'équipage pour le Brick « L'AMITIE », ayant pour commandant le capitaine cancalais BEAUDOUIN, des Forges.

Lutte sans merci, la Course rapporta à certains des sommes énormes, mais coûta bien des vies, des souffrances et des ruines au plus grand nombre : 25 646 prisonniers en 1799 sur les terribles pontons anglais et 120 000 disparus en fin de l'Empire. 600 prisonniers cancalais des pontons rentrèrent au pays en 1814. Car, pour la France, la fin de l'empire met fin à l'armement en Course qui ne sera  pourtant abolie qu'en 1856, au Traité de Paris, après la guerre de Crimée.

Si l'on sait mal les noms et les vies des capitaines corsaires originaire de Cancale, c'est qu'ils épousaient parfois des riches héritières de Saint- Malo et s'installaient dans la ville, devenant, ainsi que leur descendance, des citoyens malouins. Tel ce GARNIER, d'une très ancienne famille cancalaise, dont le fils, né en 1689 à Saint-Malo, devint le célèbre GARNIER du FOUGERAY qui pris officiellement possession de l'Ile De France au nom du Roi.

Bien des archives de famille ont été détruites et, de plus, l'écriture n'était pas le fort des marins, même capitaines, les récits de leurs prises sur les journaux de bord restent toujours d'un laconisme déconcertant.

Mais voyons la composition de certains équipages corsaires au XVIIIème siècle :

En 1757, voilà le « PUISIEULT » de 280 TX - 24 canons - 240 hommes dont 25 soldats, « en Course pour 4 mois » - capitaine Etienne DESBOIS de « Cancalle », ainsi que le 1er lieutenant Jean BEAUDOUIN, 2ème lieutenant Gilles GIRAULT et Pierre LEGENTILHOMME, les 1ers enseignes Julien HEBERT et Gilles BEAUDOUIN, 1er lieutenant et chirurgien major Charles LELONG, prêtre-aumonier Mathurin-Michel RAQUIDEL, plus des volontaires,, maître canonnier et ses aides, voiliers, novices et mousses (22 membres de l'équipage sont cancalais).

Toujours en 1757, « L'INVINCIBLE » de 300 Tx - 26 canons et 228 hommes - sur lequel on trouve comme officier - major Joseph DUCHESNE, officiers mariniers Jean GARNIER, Etienne CONVENANT, Jean NICOLLE et mousse Guillaume HERCOUET, tous de « Cancale ». Armement PITOT et LAMENAIS. Du même armement, « L'HELENE », 200 Tx - 20 canons - a pour 1er lieutenant Jean DUCHESNE, 2ème lieutenant Louis GAUVIN et Jacques HUBERT (Maître Canonnier) contremaître Jean JAGORGET, plus sept calfats, armuriers etc, tous Cancalais.

En 1758, toujours l'armement PITOT et LAMENAIS, « LA MINY » de 150 Tx - 20 canons et 165 hommes - a pour 1er lieutenant Yves LHOTELLIER de Cancale et Laurent GILBERT comme aide canonnier.

Tandis que la même année, le GRAND JOSEPH, 250 tx -120 canons - 53 hommes - « armé en guerre et en marchandises », « allant aux isles de l'Amérique », a pour capitaine en second Joseph LHOTELLIER, que l'on trouve sur la « PECHEUSE », armateurs SURCOUF frère, allant en Guinée en 1777 et mort en mer le 8 janvier 1778 à l'âge de 60 ans. Il y avait aussi à bord comme officier, un Joseph LHOTELLIER de 18 ans et cinq matelots de Cancale dont deux morts en mer et un à Gorée. 

                                                lhelleux@aol.com

 

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