Accident ou vengeance à la pointe de La Varde  ?

Mon ancêtre Joseph GIRARD ( 1762-1803)

 

Paramé, le 1er thermidor an 11 de la République Française, une et indivisible.

Par cette belle journée d’été, le soleil inonde sa coquette demeure où tout reluit de la cave au grenier. Depuis les hauteurs de Paramé, par sa fenêtre grande ouverte, elle peut voir toute la baie. Là-bas, au nord-ouest, elle aperçoit les falaises blanches du cap Fréhel. La mer est calme, le ciel lumineux, la vue est superbe et Saint-Malo brille de mille éclats.

 

Aujourd’hui, plus que d’habitude, Perrine Porchet est heureuse. Elle chante comme un pinson en finissant de changer son petit dernier, Julien, un gros garçon brun qui vient tout juste d’avoir 2 ans. Pendant ce temps, les deux aînés s’en donnent à cœur joie dans la cour et elle entend leurs éclats de rire. Joséphine est une jolie brunette de 8 ans et son frère Joseph un gentil bambin de 4 ans, déjà très rieur, et qui ressemble à son père.

 

            Il est midi, il fait beau et elle chante. Elle est heureuse, ça fait aujourd’hui 10 ans qu’elle a rencontré Girard. Il va avoir une bonne surprise en rentrant pour manger ! Elle connaît bien tout ce qu’il préfère et, pour l’occasion, elle a amélioré l’ordinaire. Sa table et son fricot sont prêts . . .  ça sent rudement bon ! Elle l’attend . . .

 

 A 25 ans, elle est toujours aussi amoureuse de son beau militaire qui lui a donné de si gentilles garçailles . De plus, il est désormais tout à elle depuis qu’elle a réussi à lui faire quitter l’armée. Il a, en effet, changé sa belle tenue d’adjudant au 2ème Bataillon de l’Ain pour endosser l’élégant uniforme des préposés aux Douanes. Maintenant qu’il est affecté au Minihic en Paramé, il ne partira plus, ni dans son pays, ni en mer comme tous les gars d’ici. Après sa tournée de surveillance sur les falaises du Minga et de La Varde, il va rentrer pour dîner. D’ailleurs, c’est bientôt l’heure. Très ponctuel, comme tout bon militaire, il ne va pas tarder à arriver. Elle l’attend avec beaucoup d’impatience.

 

            Elle est amoureuse comme au premier jour de leur rencontre. Elle n’avait pas 15 ans à l’époque. Il faut dire que son beau montagnard avait un sacrée allure. Toutes les filles tournaient autour mais lui ne voyait que Perrine. Solide garçon de 32 ans, né à Condat-Montagne près de Saint-Claude dans le Jura, Joseph Girard  a suivi son régiment, ici à Port-Malo, où il est en garnison. Grâce à sa taille, 1 mètre 75, il domine tous les autres. Très brun, l’œil noir et malicieux, le cheveu souple et la moustache frétillante, il a su conquérir le cœur de Perrine, la fière et jolie Cancalaise. Aujourd’hui, dix ans plus tard, il donne encore plus cette impression de force, de puissance et de fermeté puis de douceur, de tendresse et de gentillesse à la fois. Quel homme et quel charme ! Toute au bonheur d’être sa femme, elle en sait quelque chose !

 

            Soudain, Perrine sursaute, elle entend des pas dans la cour. C’est sûrement lui. Il est un peu en retard, c’est curieux ? Dehors, les enfants ne jouent plus. On frappe. Elle se précipite. Deux hommes sont sur sa porte. Elle reconnaît le Lieutenant des Douanes, c’est un ami. L’autre se présente, un certain Lemarié, adjoint au Maire. Ils ont grise mine ! Alors, une voix semble venir d’ailleurs, elle ne comprend pas tout : « douanier noyé . . . à la Varde . . .  corps à la  Mairie . . . ». Elle pâlit, son cœur s’accélère. Le souffle lui manque, ses jambes se dérobent, elle étouffe, c’est le trou noir et elle s’évanouit . . .

 

            Lorsqu’elle recouvre ses esprits, elle a tout compris. Joseph, son cher amour, ne reviendra plus, plus jamais ! A 25 ans, sa vie est brisée. Aussitôt, elle laisse ses enfants chez une voisine, une autre l’accompagne jusqu’au reliquaire de Paramé. Là, malgré la présence des deux hommes qui la soutiennent comme ils peuvent,  elle se jette sur le corps de son mari et le couvre de baisers. C’est bien lui, son Girard, son bel amoureux. Il gît inerte, des blessures au nez et sur le visage, sa jambe gauche est maculée de sang. Il ne respire plus. Ce n’est pas possible, lui si fort, lui qu’elle aime tant ! Habitué aux montagnes du Jura, il n’a pu glisser à La Varde. Sans doute une vengeance, un règlement de compte !

            Dans les jours qui suivent, sa famille et ses amies la soutiennent et la réconfortent de leur mieux. Elle repart avec ses enfants chez sa mère à Cancale. Mais, malgré tout l’amour qu’elle a pour ses chers petits, elle dépérit. Chaque jour, pendant quatre longues années, elle s’étiole d’avantage . . . Puis, au soir du 18 novembre 1807, elle s’éteint comme une chandelle que l’on souffle avant la nuit . . . Les orphelins ont 12 ans, 8 ans et  6 ans !   

 

Henry GASNIER

 

 

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Dernière mise à jour :  15 mai, 2002  -  Jean-Paul Trotin